
fée coquelicot
bien vivre ensemble
les valeurs qui guident ma pratique
Désirer une vie accomplie, avec et pour les autres, dans des institutions justes. (Paul Ricoeur)

Soucieuse de contribuer aux bonnes relations dans mon entourage, sur mon lieu de travail et d’habitation, et désireuse de construire un monde solidaire et vivable, je suis engagée dans l’Association francophone d’Eleuthéropédie, un réseau d’entraide réciproque par le récit et de soutien à l’action citoyenne.
Nous nous formons à l’écoute, au récit, à la communication authentique, conscient.es que nous avons à nous transformer nous-mêmes pour affronter les défis actuels. Nous nous soutenons dans nos actions concrètes pour renforcer notre pouvoir d’agir. Nous nous offrons soutien et appui pour concrétiser nos projets.
L'écoute
D'aussi loin que je me souvienne, j'ai aimé écouter. Je me revois, enfant, assise par terre, un peu en retrait. Je me souviens du plaisir que j'éprouvais à écouter les adultes, à entendre le monde par leurs voix. J'aimais me faire oublier, j'étais curieuse, avide de savoir. Je jouissais du privilège d'entendre, une chance que mon frère n'avait pas. Je pense que j'ai été sensibilisée très tôt à cette question, de par le handicap de mon frère.
Lorsque j'ai découvert l'Eleu, la consigne d'écouter sans interrompre, sans poser de questions, sans donner de conseils m'a tout de suite plu. Je ne me souviens pas que ça m'ait posé problème. Je trouvais – et je trouve encore - au contraire, très agréable de pouvoir simplement écouter.
Ce n'est évidemment pas si simple. Je veux dire par là sans avoir à chercher le bon mot de réconfort, ou la bonne réplique, sans risquer de blesser par un mot maladroit ou une remarque inappropriée. J'apprécie de pouvoir mettre toute mon attention à écouter l'autre, à lui manifester ma bienveillance, ma compréhension sans avoir quelque chose à dire, du moins avec les mots. Car il y a bien d'autres manières de communiquer cette attention bienveillante, avec le regard notamment, sans doute aussi beaucoup par les expressions du visage.
Écouter l'autre, c'est souvent me reconnaitre dans ses récits. Entendre que lui aussi, elle aussi, connait les mêmes souffrances, les mêmes douleurs, les mêmes blessures. Je me sens alors moins seule. Mais c'est aussi découvrir des différences : Ah ! tiens, là, dans telle situation, elle se fâche ? Il laisse dire en souriant ? Elle y voit une occasion de grandir ? C'est ainsi découvrir d'autres possibles, d'autres manières de réagir. Je me laisse surprendre, émouvoir, tenter par une attitude autre, qui me sort de mes habitudes.
En retour, il y a le privilège d'être écoutée. Écoutée vraiment. Pas besoin de me battre pour garder la parole, de me précipiter avant que l'autre ne vienne me dire "Ah, oui, c'est comme moi...". Pas de crainte de perdre le fil... je peux me laisser le temps de retrouver les sensations, de me remémorer tel détail, de laisser émerger telle émotion que j'avais escamotée sur le moment. Je peux aller et venir, reprendre, préciser, me contredire même. J'ai la conviction que l'autre m'accompagnera dans ces méandres, accueillera mon récit se faisant, pas un objet fini, pas un ouvrage achevé.
Mes balbutiements, mes hésitations, mes errances, ces facettes dont je ne suis pas très fière, peu à peu j'oserai les exposer. Je passerai peut-être par la plainte, les rires ou les pleurs, ou les deux à la fois. Et qui sait, je pourrai même me réconcilier avec moi-même, cesser d'en vouloir à celui ou celle qui m'a fait si mal, pardonner, comprendre. Je serai alors plus sereine, plus confiante, j'aurai plus d'allant, de courage, de plaisir à retourner à ma vie, soulagée, plus consciente d'avoir prise sur mon vécu, un peu plus libre peut-être, plus légère sûrement.
Françoise, Genève (2006)